Nous vivons au pays des Lumières, et, pour introduire la statistique, nous nous aiderons de celles de Pénombre, une association qui s’est donné pour objectif la critique de l’usage social du chiffre et qui porte en ligne ses réflexions[1]. Une association qui s’est donné une mission impossible tant le champ couvert est vaste, une institution toujours un peu critique à l’égard de ce qui nous gouverne.
Au risque de froisser notre sensibilité nationale, c’est en s’appuyant sur des formules anglaises que nous allons prendre notre envol.
C’est Winston Churchill qui commence :
« La première leçon que vous devez apprendre est : lorsque je demande des statistiques sur la mortalité infantile, ce que je veux c’est la preuve qu’il est mort moins de bébés lorsque j’étais Premier ministre que lorsque n’importe qui d’autre était Premier ministre. Ceci est une statistique politique »[2].
Fin de la première leçon. Exercice : examiner les discours de nos hommes politiques et tirons-en les conséquences.
Deuxième leçon. Deux citations pour l’introduire:
« Il y a trois sortes de mensonges, les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques » boutade de Mark Twain [3], souvent attribuée à Disraëli.
« Les mots des menteurs rougissent, mais les chiffres d’un statisticien n’ont jamais honte »[4]
Cette seconde formule, dur à Andrew Young, figure sous une rubrique bien nommée de la Lettre blanche (la revue de Pénombre), puisqu’intitulée « L’éclairage public ». La statistique aurait donc en quelque sorte la fonction d’un réverbère. Ce qui nous renvoie assez naturellement à une histoire bien connue des statisticiens. C’est l’histoire d’un ivrogne qui, se rendant compte en rentrant chez lui qu’il a perdu ses clés, est bien embarrassé. Pourquoi les cherche-t-il à la lumière du réverbère? Parce que c’est là seulement là qu’il y a de l’éclairage. Mais les clés sont probablement ailleurs!
Exercice : réfléchir à l’aptitude de la statistique à répondre à des questions que l’on ne se pose pas, à sa maladresse à aborder les sujets où on l’attend.
Troisième leçon. N’allons pas croire que la statistique ne serait qu’une « discipline » entretenue par des menteurs qui ne travailleraient qu’au bénéfice d’autres menteurs et des ivrognes. Elle a heureusement une autre ambition, que l’on voudrait plus noble. Une définition, très probablement vraie, est la suivante : la statistique est la science de l’incertain. Pour s’en convaincre, on prendra l’exemple du recensement, l’archétype de la statistique puisque les premières opérations remontent à l’Antiquité. Le recensement est toujours d’actualité puisqu’on, sous l’instigation de l’ONU, on continue à en faire dans la plupart des pays. Mais par un abus de langage ou si l’on préfère, par glissement sémantique, en France comme ailleurs, la collecte ne se fait plus sur l’ensemble de la population, mais seulement sur un échantillon. Et cela dans le souci d’une amélioration de la qualité des chiffres diffusés. C’est qu’il faut accepter cette idée, plutôt contre-intuitive, qu’ un bon sondage vaut mieux qu’un mauvais recensement ou si l’on préfère : « Pour voir mieux, voir peu ! ».
A titre d’exercice, on pourra prolonger la réflexion en s’interrogeant, à chaque fois qu’on lit un chiffre dans la presse, pour savoir d’où il vient et quel a été le chemin qui a conduit à sa production.
[1] L’Association Pénombre a publié “Chiffres en folie”, petit abécédaire de ‘usage des nombre dans le débat public et les medias – Préface de Philippe Meyer – Editions La Découverte septembre 1999
[2] «The first lesson that you must learn is : when I call for statistics about the rate of infant mortality, what I want is proof that fewer babies died When I was prime minister tan when anyone else was prime minister. That is political statistic”.